Faire avancer la cause écologique : faut-il un parti vert?

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Faire avancer la cause écologique : faut-il un parti vert?

Le 29 juin 2018

La Fabrique écologique, cercle de réflexion sur l’écologie, a publié le 29 mai 2018 une note très intéressante intitulée « La triple rupture de l’écologie en politique ». La note http://docs.wixstatic.com/ugd/ba2e19_0eb5d49d66264e369e64bbe709f8edec.pdf pose plusieurs questions essentielles : quelle est la place des préoccupations écologiques chez les Français ? Quelle traduction des enjeux écologiques dans le débat politique lors des élections de 2017 ? Et, en arrière fond, quelle est la nécessité d’un « parti vert » pour porter ces enjeux ? La question se pose en France avec une particulière acuité : la Fabrique considère qu’il y existe une « résistance » spécifique au changement écologique, liée à un modèle économique, social et politique centralisé, plutôt rigide, avec un Parlement aux pouvoirs limités et une faible propension au dialogue et au compromis. En tout état de cause, dans le champ politique, la réflexion sur les questions d’écologie est peu structurée.

La triple rupture évoquée par la note est, selon la Fabrique, liée à trois constats : l’absence de candidat étiqueté écologique aux dernières élections présidentielles, la disparition de l’écologie dans la campagne et le fait que l’écologie n’ait pas été un déterminant du vote.

Le diagnostic

Les préoccupations écologiques de la population, essentielles et secondaires

 Le constat est ambivalent et connu : 39 % de la population sont très sensibles à l’environnement, 60 % comprennent la nécessité de modifier les modes de vie, notamment pour empêcher la dégradation climatique. La prise de conscience de la nécessité d’agir a donc largement eu lieu. Pour autant, les préoccupations écologiques ne sont pas centrales et viennent derrière celles relatives à l’emploi, à l’immigration, à la dette et aux finances publiques. Sans doute parce que les problèmes environnementaux sont peu visibles, divers, voire segmentés (qualité de l’air, pollution, biodiversité…), en tout cas rarement abordés globalement, les débats paraissent abstraits, décalés dans l’espace et le temps. La préférence pour la consommation l’emporte et les propositions du discours écologique ont peu de prise.

Les Verts, une histoire avec des hauts et des bas

 Depuis les années 90, les écologistes ont fait l’analyse qu’il fallait s’allier à la gauche, d’abord parce qu’elle était proche de leurs choix de rupture avec les forces libérales, ensuite parce que, du fait des modes de scrutin aux législatives, tout parti souhaitant être représenté au Parlement et participer au pouvoir est contraint à des alliances. C’est ainsi que les Verts ont fait le choix de participer au gouvernement Jospin – puis, il est vrai, de maintenir un candidat en 2002, contribuant ainsi, paradoxalement, à l’élimination de la gauche au second tour de la présidentielle. Leur fusion avec le mouvement de Cohn-Bendit les a amenés, aux élections européennes de 2009, à un score très élevé de plus de 16 %, sachant que deux électeurs écologistes sur cinq ne relevaient pas alors de la gauche et que plus de la moitié ne pensait pas que la priorité était de sortir du nucléaire : le parti a donc été alors capable d’élargir le cercle de ses sympathisants. A partir de 2012, pourtant, on assiste à une lente descente aux enfers d’Europe Ecologie les Verts (EELV), que la note impute à sa « vassalité » au Parti socialiste, largement indifférent à l’époque aux enjeux écologiques.  Les Verts n’ont d’ailleurs pas « tenu » très longtemps au gouvernement, qui a pris une tonalité anti-écologique avec l’arrivée de Manuel Valls comme Premier ministre. Ensuite, on entre dans le temps des déchirements, avec la présence d’une ministre vert (E. Cosse) qui participe au gouvernement contre l’avis du parti qu’elle dirigeait pourtant. D’une manière générale, la participation des Verts au gouvernement a créé des fractures internes et EELV a peu participé aux « événements écologiques » du quinquennat, comme la COP 21 et la préparation de la loi de transition écologique pour une croissance verte du 17 août 2015.

L’écologie a été largement absente de la campagne de 2017 

Deux candidats de gauche, B. Hamon et J-L Mélanchon, ont inscrit une forte ambition écologique dans leur programme mais les autres candidats n’en ont que peu ou pas parlé. L’examen des programmes révèle quelques points de convergence mais surtout des divergences, tant sur le mix énergétique et son évolution que sur le prix du carbone, l’économie circulaire ou les pesticides. Au départ, lors de la présentation des programmes, les deux candidats intéressés par l’écologie l’ont promue, même s’ils l’ont fait de manière générale, sans hiérarchiser les priorités ni analyser les difficultés, parfois de manière peu accessible au grand public. Ainsi, quand la sortie du nucléaire a été évoquée, c’est sans en étudier les conséquences concrètes, y compris sur les alternatives énergétiques. B. Hamon s’est curieusement focalisé sur une question partielle et technique, les perturbateurs endocriniens. Cependant, l’écologie a vite disparu : les médias n’ont pas posé de questions sur ce thème, les grands débats ne l’ont que très peu évoqué et parfois pas du tout. Seul la question du nucléaire a été parfois posée, pas la qualité de l’air, pas la question animale, pas les dérèglements du climat…Les rares fois où un journaliste a posé des questions sur l’écologie, il l’a fait de manière ponctuelle et parfois caricaturale.

Ce diagnostic est-il grave ?

 L’on pourrait penser que non et, d’ailleurs, nombre d’écologistes s’y résignent : de toute façon, disent-ils, faire élire un Président écologiste n’est pas un objectif atteignable. L’analyse conforte une vision répandue, selon laquelle les enjeux écologiques sont soit planétaires soit locaux, rarement comme nationaux. Les écologistes jugent donc important qu’ils soient pris en compte au niveau supranational ou, à l’inverse, au niveau municipal. De plus, au final, en 2017, l’écologie ne s’en serait pas si mal sortie puisque la présence de Nicolas Hulot au gouvernement permet au moins de barrer la route à certaines décisions néfastes.

Pourtant, la note de la Fabrique considère, avec raison, que le constat de 2017 est grave : pour le mouvement d’abord, puisque l’écologie politique n’est pas capable de faire de ses choix un point de débats ; elle ne parvient pas à sortir du cercle de ses sympathisants, que l’on peut estimer à environ 6 % de l’électorat ; elle a même du mal à mobiliser ce noyau dur puisqu’au premier tour de la présidentielle 2017, ce vote a été éclaté entre trois candidats. Les seuls élus « verts » de l’Assemblée nationale 2017 l’ont été sous l’étiquette du parti présidentiel, ironie amère lorsque l’on mesure le faible engagement écologique du gouvernement.  Surtout, sans élus nationaux pour porter des décisions particulièrement difficiles car souvent à contre-courant de choix « acceptables », la voix des écologistes se perd, alors que les orientations en ce domaine devraient être structurantes pour le débat politique. La Fabrique a raison de noter que l’écologie politique en est à son année zéro, même si les écologistes installés de longue date dans un militantisme minoritaire s’en accommodent.

Comment s’explique cette déshérence ?

La raison essentielle est certainement propre à un parti refermé sur lui-même : chacun a gardé le souvenir du sectarisme de la campagne interne de 2012 pour le choix d’un candidat à la présidentielle, le choix s’étant naturellement porté sur celui, ou plutôt celle, avec Eva Joly, la moins capable de convaincre et de rassembler. Au-delà, le discours écologique est profondément apolitique, si la politique est l’art de préparer l’action :  il porte la vision d’un monde déjà en perdition, dans lequel il n’est plus temps de rien, sauf à tout arrêter immédiatement, les limites planétaires étant déjà toutes dépassées. La dureté du constat dispense alors de la construction d’un cheminement de transition : n’est viable qu’un monde fonctionnant selon une logique radicalement différente. Si la croissance est arrêtée, si les énergies sont 100 % renouvelables, si les centrales nucléaires sont démantelées, si le modèle agricole est modifié du tout au tout et repose sur des exploitations familiales produisant des aliments de qualité sans pesticides, si la ville est compacte et les transports tous collectifs, si les inégalités se réduisent, le monde pourra mieux faire face aux dérèglements qui l’attendent. Comment quiconque pourrait-il se projeter dans cette vision des choses ? Et comment fait-on pour gérer toutes les problématiques de transition ? On ne sait pas…Aux trois ruptures de la note de la Fabrique écologique, ajoutons en une 4: la rupture avec le discours concret et le réel dans lequel nous vivons tous et qui ne se laisse pas transformer si aisément.

Au demeurant, on voit bien ce que donnent des écologistes à l’épreuve de la réalité : ils ne savent pas faire parce qu’ils ne se sont pas posé la question du « comment ». Il faudrait citer, depuis les Grenelle de 2007 et de 2009, toutes les déclarations sans contenu, les engagements chiffrés ne reposant sur rien du tout, les « feuilles de route » rédigées à la suite de conférences environnementales sans suivi. Le discours sur le développement durable et « la croissance verte » est particulièrement fumeux. La COP 21, qui a enthousiasmé les foules, a été largement de la mousse, les participants s’avérant incapables de se fixer des objectifs réalistes (mieux vaut se mentir en effet), encore moins des obligations contraignantes et encore moins des étapes nettes et obligatoires pour avancer. Si l’on évoque la loi de transition énergétique 2015, l’inanité des objectifs a été rapidement manifeste. Nicolas Hulot a paru le découvrir en novembre dernier et depuis on n’avance pas, même si des décisions sont annoncées pour fin 2018. Aujourd’hui, ce ministre, sans doute convaincu et sincère, ressemble à un kangourou pris dans les phares : il n’a manifestement pas négocié d’accord de gouvernement détaillé sur les ambitions à réaliser ; il ne sait pas poser des lignes rouges ni des exigences fermes ; il bredouille qu’il faut faire des compromis, ce qui est profondément exact mais à condition d’en maitriser l’ampleur. Si l’on regarde les avancées de son ministère, elles sont minces : l’augmentation de la taxe carbone et l’alignement de la fiscalité essence et diésel sont quasiment les seules. Le glyphosate ne sera sans doute pas interdit, les poussins continuent à être jetés vivants dans des broyeurs, la loi de protection du littoral gêne ouvertement le pouvoir, qui finira par l’amender, le plan pour l’économie circulaire est une liste de 50 bonnes résolutions dont parfois l’impact est lilliputien : le ministre n’a clairement pas de stratégie. C’est en cela que l’écologie politique est faible : quand elle participe au pouvoir, elle ne sait pas par quoi commencer. Le seul discours dans lequel elle est à l’aise est celui du cataclysme certain ou de l’utopie rêvée. La note de la Fabrique dit que les débats écologiques ont été absents de la campagne : mais il ne peut y avoir débat que si des questions se posent et si l’on a des réponses divergentes à discuter.

Au final, faut-il un parti vert ?

La note de la Fabrique paraît en douter : elle souligne qu’un parti purement écologiste sert d’aiguillon mais a peu d’utilité s’il se replie sur ses convictions au nom d’une pureté doctrinale. Mais bien sûr, elle souligne aussi le risque inverse : au sein d’un parti plus « généraliste », l’écologie peut se perdre ou être sacrifiée devant le risque de contradictions internes. De plus, Le Monde[1] mentionne un sondage réalisé ce printemps par le parti EELV selon lequel, aux élections européennes, si le parti vert propose une liste propre, il devancera largement tous ses concurrents de gauche. Quelle jolie perspective qu’une candidature de témoignage à 2 chiffres ! Il est vrai que, si la solution alternative est de se coller à des partis qui utilisent le thème écologique sans vraiment l’intégrer, mieux vaut encore l’autonomie.

Cependant, de très nombreux arguments plaident pour la construction d’un discours écologique ET qui intègre une vision économique, sociale et géopolitique. La note de la Fabrique, classant les préoccupations des Français, déplore qu’ils fassent passer l’écologie après l’emploi ou la dette. Mais il est parfaitement logique que tout citoyen se préoccupe d’emploi et de dette et de croissance et c’est déjà beau, compte tenu du flou des objectifs écologiques, que le thème soit présent. Ce qui manque, c’est un discours de cohérence, qui inclue la préoccupation écologique dans un projet d’ensemble parlant aussi de l’emploi, de la croissance, du commerce international, du devenir de l’agriculture, de la politique des transports…

Au final, soyons simple au risque d’être caricatural : il faudrait que le parti EELV cesse d’être une secte et construise un discours politique, concret et tenant compte des contraintes du monde. S’il ne le fait pas, il ne nous aidera en rien à affronter les défis qui nous attendent.

Pergama

 

 

[1] Le Monde, 29 mai 2018, Sombre constat pour l’écologie politique