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Compétences sociales des collectivités: un modèle à bout de souffle

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 Les collectivités territoriales exercent des compétences sociales décisives : les départements financent et gèrent le RSA, prestation et dépenses d’insertion, ainsi que l’allocation personnalisée dépendance APA (à domicile et en établissement) et l’accueil en établissement pour personnes âgées (ils payent en partie le prix de journée hébergement quand la personne ne peut y faire face). Ils ont des compétences parallèles pour les personnes handicapées, avec le versement d’une prestation de compensation du handicap (PCH) pour aider la personne dans la vie de tous les jours et le financement de l’accueil en établissements si nécessaire.  Les départements ont également dans leurs compétences l’ASE, aide sociale à l’enfance destinée à soutenir les familles en difficulté financière ou éducative et à recueillir des enfants confiés par leur famille ou par le juge. Quant aux communes, elles ont une place importante dans la création des modes de garde de la petite enfance et des accueils de loisirs pour les plus grands, même si elles n’ont aucune obligation en ce domaine. Depuis plusieurs mois et parfois plusieurs années, des dysfonctionnement ou insuffisances graves apparaissent dans le fonctionnement de ces dispositifs, pour des raisons financières le plus souvent, mais aussi pour des raisons organisationnelles. Doit-on repenser le modèle ? Oui sans nul doute, par souci de qualité et d’efficience.

Le constat : des carences manifestes

 Des missions mal ou non assurées pour raisons financières

Les départements n’assument pas correctement leur mission à l’égard des bénéficiaires du RSA. En juin dernier, devant le congrès de la mutualité, le chef de l’Etat a eu beau jeu de rappeler que, alors que la loi du 1er décembre 2008 instituant le RSA édicte que « Le bénéficiaire du revenu de solidarité active a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique », depuis 10 ans, les dépenses correspondant à la prestation ont considérablement augmenté tandis que les dépenses d’insertion baissaient nettement. Les deux constats sont, au demeurant, liés : les départements en difficulté financière devant l’augmentation des dépenses de RSA ont économisé sur les dépenses d’insertion. Certes, la faiblesse des « sorties » du RSA tient aussi au marché de l’emploi et à la faible qualification d’une part des bénéficiaires. Mais cet abandon reste critiquable et conforte l’analyse selon laquelle notre système de protection sociale aide les personnes à subsister mais ne les arme pas pour sortir de la pauvreté.

Plus généralement, les départements ne veulent plus financer seuls les AIS, « Allocations individuelles de solidarité » (RSA, APA et PCH) ainsi que la charge des mineurs étrangers isolés, qui, parce qu’ils relèvent de la convention internationale des droits de l’enfant, doivent être obligatoirement pris en charge par l’ASE quelle que soit leur situation.

Pour ces derniers (dont le nombre, il est vrai, n’a cessé d’augmenter, 2500 en 2005 et environ 25 000 fin 2017, selon la mission « Mineurs non accompagnés » du ministère de la justice), un accord financier a été trouvé entre l’Assemblée des départements de France et l’Etat, celui-ci finançant essentiellement les premières semaines de prise en charge. Cette aide incitera peut-être les départements à ne plus tenter d’esquiver par diverses voies leur mission, soit en contestant la minorité des enfants soit, tout simplement, en refusant de les accueillir.

Pour les allocations de solidarité, les négociations financières avec l’Etat n’ont à ce jour pas abouti et, en juillet 2018, les départements ont boycotté pour cette raison la Conférence des territoires : ils réclament une amélioration des financements étatiques pour compenser l’accroissement de leurs charges.

Une faible exigence de qualité

 C’est le cas pour les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).  Sur ce sujet, la médiatisation de la question est née de la réforme du mode de calcul de la prestation dépendance versée aux établissements par les départements, réforme dont l’impact a été (consciemment ? Un rapport d’Inspection générale en avait souligné les risques) mal évalué : pour répondre à la crise financière des départements, la prestation a été soumise à un principe de convergence entre établissements d’un même département. Or cette mesure a créé au plan financier de nombreux perdants (essentiellement des établissements publics). A cette occasion, des questions en suspens depuis longtemps ont été mis à jour par un rapport de l’Assemblée nationale de mars 2018[1]  : un coût de l’hébergement élevé (en moyenne 1949€ mensuels, avec de fortes variations selon le statut de l’établissement et sa localisation) malgré la participation départementale à la prise en charge de la dépendance et malgré un forfait soins supporté par l’assurance maladie ; de ce fait, une participation financière quasi obligée des familles ; des effectifs de personnel qui ne correspondent pas aux besoins ; une faible qualité de la prise en charge, aggravée par la pénibilité dont se plaignent les personnels, un absentéisme élevé et des difficultés de recrutement ; une difficulté aussi pour organiser la prise en charge des soins, faute de pouvoir recruter ou faire intervenir des médecins ; au final, un bilan inquiétant.

En ce domaine, les collectivités ne sont pas seules en cause, tant la gouvernance est compliquée : l’Etat est très présent, au niveau national sous une double forme, Direction générale de la cohésion sociale (choix de politique médico-sociale de l’Etat) et CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, opérateur financier qui récolte les contributions de l’assurance maladie destinées à la dépendance et collecte le produit de la journée de solidarité). Au plan local, les départements sont responsables du financement forfaitaire de la dépendance et approuvent le budget des établissements pour personnes âgées habilités à l’aide sociale, tandis que les Agences régionales de santé, services de l’Etat, organisent une contractualisation avec les EHPAD qui fixent leurs objectifs à 5 ans et répartissent les financements de la CNSA supportés par l’assurance maladie. Cette redondance d’autorités de contrôle n’a pas empêché l’indignité de certaines situations…

Quant à la qualité de la politique d’aide sociale à l’enfance, un rapport ancien de la Cour des comptes (2009) sur le bilan de la décentralisation en soulignait les faiblesses : contenu trop flou des « mesures éducatives », insuffisance dans la maîtrise d’ensemble du parcours des enfants (succession de décisions sans vision parfois suffisamment de long terme). Mais la Cour reconnaissait un effort financier et d’amélioration des méthodes. Une loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance (vue à l’époque comme une volonté de l’Etat de contrôler l’aide sociale à l’enfance voire de la reprendre en mains), était plus inquiétante puisqu’elle a inscrit dans la loi de « nouvelles missions » du service correspondant pourtant à des évidences : définir un « projet pour l’enfant » afin de mieux stabiliser des parcours considérés comme trop souvent chaotiques, veiller aux liens avec les frères et sœurs, enfin préparer les sorties et proposer systématiquement un accompagnement après la majorité jusqu’à 21 ans.

Dans ces conditions, la proposition de loi visant « à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie »  déposée au printemps 2018 par le groupe « La République en marche » interpelle : selon l’exposé des motifs, la loi actuelle serait lue de manière restrictive par certains départements, qui considèrent que l’aide aux jeunes majeurs est facultative et poussent dehors, à 18 ans, des jeunes souvent sans appui, sans aide, sans familles, souvent sans formation poussée : 35 % des jeunes SDF de 18 à 24 ans sont ainsi d’anciens enfants de l’ASE.

 Enfin, des politiques sociales alambiquées qui permettent l’inaction

 C’est le cas en ce qui concerne la garde des enfants, jeunes ou moins jeunes, qui n’est pas une dépense obligatoire. La branche famille, poussée par l’Etat, donne des subventions pour la création et le fonctionnement des modes de garde, qui le plus souvent (pas toujours, il existe des initiatives privées) relève des communes. La politique en ce domaine est fixée dans la convention pluriannuelle d’objectifs et de gestion (COG) que signe l’Etat avec la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales). La COG 2013-2017 prévoyait la création de 100 000 places pour les moins de 3 ans. Il n’existe aucun bilan de cette disposition, pourtant essentielle pour développer un taux d’activité féminin qui n’est guère élevé par rapport à des pays européens comparables. Selon certaines estimations, les créations effectives de la période 2013-2017 ne devraient pas dépasser de beaucoup 30 000 parce que les collectivités n’ont pas été au rendez-vous.  La COG 2018-2024 qui vient d’être signée en prend acte et se cale sur des créations de 30 000 places en 4 ans, là où le Haut Conseil pour la famille[2] chiffre les besoins à 275 000, avec l’objectif qu’aucun parent ne soit contraint de limiter son activité professionnelle pour des questions de garde et que les différences entre les « reste à charge » des familles, beaucoup plus lourds en cas de recours à une assistante maternelle, soient réduits. La nouvelle COG prévoit de plus 500 000 places en centres de loisirs là où le Conseil évalue les besoins à 1 million. De toute façon, rien n’est obligatoire…

 Quels choix politiques ?

 Refuser un statu quo aménagé

Le rapport de la mission Richard Bur d’avril 2018 sur les AIS[3] note l’effet de ciseaux entre la dynamique des dépenses de prestations des départements et celle des recettes de compensation qui leur sont accordées pour les prendre en charge, même si l’Etat a permis des moyens supplémentaires depuis 2013. Le rapport souligne surtout l’ampleur des disparités territoriales sur les dépenses : la Cour des comptes, dans son rapport 2017 sur les finances locales, note dans ces conditions qu’un tiers des départements seront en situation financière difficile d’ici 2020, même si les dépenses sociales ralentissent ou baissent. Le rapport Richard Bur préconise alors le développement de la péréquation horizontale entre départements et un cofinancement Etat/département défini contractuellement sur 3 ans (en l’occurrence 2019-2021, quitte à exiger la production d’indicateurs qualitatifs (absents aujourd’hui) pour accorder ces financements.

La décentralisation de 1982 s’est construite sur le refus des cofinancements, assimilés à une incitation à l’irresponsabilité, sur un partage clair de compétences entre Etat et collectivités et sur la substitution du contrôle de légalité à une tutelle sur le fonctionnement. Adopter les conclusions de la mission Richard Bur serait revenir 40 ans en arrière, à des collectivités dépendantes et à un Etat omniprésent et peu capable d’assurer tout ce que l’on attend de lui.

 Assurer des recettes évolutives et exiger que les missions soient remplies

 Il existe une autre voie, qui ne paraît pas du tout celle suivie aujourd’hui, c’est de sortir par le haut de ces débats sans fin, où l’Etat attribue aux collectivités des recettes insuffisantes et leur confie de lourdes missions de solidarité nationale. Il n’est nullement certain que les départements doivent garder les compétences qu’ils assurent : si l’on souhaite un jour refondre et unifier les divers minima sociaux, il faut « renationaliser » le RSA. Si tel n’est pas l’objectif (la politique en ce domaine mériterait d’être rapidement clarifiée), mieux vaut donner aux départements une fraction dynamique d’un impôt national ou des impôts locaux dont ils puissent augmenter les taux et leur demander, en contrepartie, d’assurer leurs missions et d’en rendre compte en termes quantitatifs, tant sur les dépenses AIS que sur l’effort d’insertion des bénéficiaires du RSA ou sur l’aide sociale à l’enfance. Responsabilisons les départements !

 Il faut également cesser de traiter comme négligeable la politique de développement des modes de garde et en faire une compétence obligatoire confiée aux intercommunalités, quitte à prévoir une prestation légale de soutien de la branche famille.

Il faut enfin réfléchir sur la politique d’accueil des personnes âgées. Si la lutte contre le vieillissement est un des défis majeurs de l’avenir et s’il faut trouver de nouvelles recettes pour la mener, alors, autant définir une politique nationale, avec des normes de qualité précises, confiée éventuellement aux organismes de sécurité sociale avec un financement augmenté, 2e journée de contribution ou autre. Il faut en tout cas simplifier là aussi les responsabilités mais veiller à ce qu’elles soient assumées.

 Au final, il faut cesser de bricoler en rafistolant les aides sociales à coups de subvention de l’Etat, en se résignant aux défaillances de la protection sociale à l’égard de certaines populations en détresse et en acceptant que des politiques essentielles pour l’activité des parents soient sacrifiées parce qu’elles apparaissent comme secondes. Les collectivités doivent disposer de ressources correctes mais assurer correctement leurs missions.

Pergama  

[1] Rapport d’information en conclusion de la mission sur les EHPAD, mars 2018  http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i0769.asp

[2] Rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, l’accueil des enfants de moins de 3 ans, 2018 http://www.hcfea.fr/IMG/pdf/_mise_en_forme_OK_HCFEA_Synthese_accueil_des_enfants_de_moins_de_trois_ans.pdf

[3] Mission « Finances locales », rapport sur le financement des allocations individuelles de solidarité, avril 2018 https://www.apmnews.com/documents/201805221539120.Rapport_MissionAIS_VF_040518.pdf