Loi Sapin contre la corruption, quel bilan?

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Loi Sapin contre la corruption, quel bilan?

La loi Sapin

La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 ») a marqué une étape décisive dans la lutte contre la corruption, jusque-là négligée en France. Inspirée par les propositions du rapport Nadal de 2015 (« Renouer la confiance publique »), la loi a été générée par un rapport de l’OCDE de 2012 très sévère pour les pratiques de lutte contre la corruption des entreprises françaises à l’étranger, fréquentes dans le domaine des transports, de l’armement, des télécommunications, tolérées par l’administration française et mal réprimées par une réglementation trop restrictive et des peines insuffisantes.

 La loi remplace un service central de prévention anticorruption faiblement doté en moyens comme en compétences par une agence, l’Agence française anti-corruption (AFA), plus musclée, dont la mission est de surveiller les entreprises comme les procédures mises en œuvre par les services publics. Les grandes entreprises, les administrations et les collectivités ont désormais obligation de se doter de mesures internes de prévention et de détection de la corruption. L’objectif est également de sanctionner plus durement et plus vite les personnes morales fautives, grâce à l’institution d’une « convention judiciaire d’intérêt public » (CJIP), qui évite à la personne morale d’être condamnée à condition de payer une forte amende et de se doter d’un programme de mise en conformité.

La loi donne par ailleurs un statut aux lanceurs d’alerte. Elle leur impose une procédure préalable (avertir d’abord leur hiérarchie), disposition très débattue. Elle les exonère de l’obligation de respecter un secret protégé « dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte », soit la bonne foi et le désintéressement.

Enfin, pour répondre à la demande récurrente des ONG qui militent pour la transparence des décisions publiques, le texte établit un répertoire des lobbyistes qui interviennent auprès des parlementaires. Les lobbyistes doivent se déclarer et indiquer leurs sujets d’intérêt. Ils doivent produire annuellement un rapport d’activité en mentionnant les actions menées et en déclarant les catégories de personnes approchées.

Son évaluation

 Pour ce qui est de l’efficacité de la lutte contre la corruption, la situation française est en cours d’évaluation par l’OCDE. Dans cette attente, une mission parlementaire a évalué l’impact de la loi de 2016 (rapport du 7 juillet 2021, rapporteurs : MM Gauvain et Marleix). Par ailleurs, l’ONG Transparency international a établi elle aussi un bilan de la loi il y a un an.

Les principales interrogations portent sur le statut de l’AFA, voire, dans certains cas, sur son efficacité ; sur la place du dispositif anti-corruption dans le secteur public ; sur l’amélioration du statut des lanceurs d’alerte ; enfin sur la portée des dispositions relatives aux  registres des lobbyistes.

Sur l’AFA, le bilan est salué et paraît satisfaisant. Pour autant, les moyens de l’agence ne correspondent pas à ce qui avait été envisagé au départ et de ce fait, le nombre de contrôles a baissé en 2019 et 2020, alors qu’il faudrait au contraire les renforcer, en particulier à l’étranger (où l’action est inexistante), sur les filiales internationales de grands groupes.

Le statut actuel de l’AFA est jugé ambigu, voire contre nature : l’agence est un service de l’Etat dont l’indépendance est garantie s’agissant de la mise en œuvre de contrôles. Le rapport parlementaire considère que, si la mission de contrôle et d’accompagnement de l’AFA est bien menée, celle de pilotage stratégique de la lutte anti-corruption l’est moins. Bizarrement, il propose, dans ces conditions, de transférer les contrôles à la HATVP (sans doute parce qu’il s’agit d’une AAI) et de laisser à l’AFA le rôle d’impulsion et de coordination de la lutte contre la corruption. Or, la HATVP a été créée dans un tout autre cadre, pour contrôler les déclarations des élus sur leur patrimoine et leurs intérêts, tandis que l’AFA a acquis un savoir-faire sur les contrôles anti-corruption dans les entreprises. Partant du même constat sur l’AFA (moyens trop limités, rayonnement encore insuffisant), Transparency international opte au contraire pour accorder à l’AFA le statut d’AAI, proposé dès l’origine, et encourage l’Agence à se faire connaître davantage, en se positionnant notamment sur le domaine de la connaissance et de la mesure de la corruption. C’est probablement la meilleure solution, même si les décideurs n’aiment pas créer de nouvelles AAI.

Enfin, la mission parlementaire souhaiterait que la CJIP puisse être transposée aux personnes physiques, alors que Transparency international, sans doute plus attachée à la sanction pénale et à ses contraintes, est beaucoup plus réticente.

 Dans le secteur public, les obligations imposées par la loi sont peu ou pas mises en œuvre, alors même qu’il existe un besoin de lutte contre la corruption. La mission parlementaire recommande d’établir un référentiel adapté aux collectivités et, en particulier, à leur taille. Les responsables de l’AFA estiment, quant à eux, que ce n’est pas là le problème : en réalité,  les responsables publics ne veulent pas s’attaquer à la corruption en ce qui concerne leurs propres organismes. Transparency est sans doute proche de cet avis, qui insiste sur le caractère obligatoire de l’établissement de plans de prévention dans le secteur public et sur un meilleur accompagnement des collectivités. Cette tolérance des administrations militerait pour donner à l’AFA un statut d’AAI, qui anoblirait et crédibiliserait son action.

Sur les lanceurs d’alerte, toutes les évaluations conviennent qu’ils sont insuffisamment protégés contre les risques de représailles, perte d’emploi ou procédures judiciaires. La protection, en théorie assurée par le Défenseur des droits, doit être effective, avec des moyens renforcés et l’imposition d’une amende civile en cas de « procédure-baillon » se terminant par un non-lieu.

Enfin, s’agissant des répertoires de lobbyistes, le dispositif actuel est lourd (la HATVP s’épuise à vérifier les inscriptions des lobbyistes et le dépôt de leur rapport annuel) sans que l’objectif de transparence soit atteint : les lobbyistes s’inscrivent aujourd’hui davantage mais remettent peu leurs rapports d’activité qui sont au demeurant flous et succincts. La mission d’information parlementaire envisage, avec quelques réticences, la « responsabilisation » des élus, qui pourraient être dans l’obligation de déclarer les personnes reçues et la documentation laissée (projet de texte, argumentaire…). A vrai dire, ce serait là la seule voie qui permettrait de mesurer réellement « l’empreinte normative » des lobbies.

Sur la lutte contre la corruption, l’effort d’évaluation mérite d’être salué. Les approches sont complètes, franches et font la part d’une appréciation qualitative. Reste l’étape décisive : apprécier les réformes nécessaires et les mettre en place.